Confidences du Confinement

Durant cette période particulière qu'a été le confinement, Damien Béal s'est plié au jeu de l'interview avec Artisans d'Avenir. Cette association a pour objectif de valoriser les métiers d'art et de leur redonner une place centrale dans notre société.

Si vous n'avez pas pu assister au live, vous trouverez ci-dessous une retranscription de cette rencontre réalisée par Artisans d'Avenir et disponible également sur leur site. Vous découvrirez le parcours professionnel de Damien Béal, sa vision de l'entrepreneuriat, ses conseils pour devenir indépendant...

Interview live Artisans d'Avenir et Damien Béal

« Je me définis donc comme un artisan qui crée. Mon savoir-faire c’est le bois, le cuir et demain ce sera peut-être autre chose. L’important c’est le chemin ».

En ce 5 mai, en pleine période de confinement, nous avons invité Damien Béal à témoigner lors de ce rendez-vous en ligne, sur son parcours d’artisan et d’entrepreneur. Damien a choisi sa voie jeune. Déjà enfant, son couteau était son fidèle compagnon de bricolage. Dans les années 2000, il a rejoint d’autres Compagnons, ceux du Devoir, en faisant le tour de France pendant 4 ans où il se formera à la menuiserie et l’ébénisterie.

Damien est artisan d’art et créateur, peu importe la matière qu’il choisit. Il agit selon ce qu’il a intimement envie de faire de ses mains et de sa marque. Fidèle à ses valeurs, artisan convaincu par la transmission, il avance comme entrepreneur et comme artisan d’art.

QUEL A ÉTÉ TON PARCOURS AVANT TA MARQUE DE MAROQUINERIE ?

J’ai commencé mon apprentissage en menuiserie à 14 ans. Après 3 ans en alternance en lycée professionnel de menuiserie, je suis rentré à 17 ans chez les Compagnons du devoir. La maroquinerie est arrivée plus tard en 2013 avec l’achat d’une première peau.

QUEL GENRE D’ARTISAN ES-TU ?

Je me sens avant tout artisan sans étiquette particulière. Avec les années, être artisan c’est un moyen de créer sans entrer dans une catégorie. Je me définis donc comme un artisan qui crée. Mon savoir-faire c’est le bois, le cuir et demain ce sera peut-être autre chose… L’important c’est le chemin.

ARTISAN OU ENTREPRENEUR ?

Un entrepreneur doit pouvoir se réinventer. Mon souhait est de continuer à créer des objets. Je n’étais pas prédestiné à fabriquer des sacs. Les opportunités sont celles que je prends au fur et à mesure. C’est une construction sans fin. J’aime beaucoup l’idée qu’un artisan crée un objet et que cet objet trouve son public.

Pendant mes premières années d’indépendant, les gens avaient une idée et je leur fabriquais sur mesure ce qu’ils souhaitaient. Puis, j’ai eu envie de vendre des créations telles que je les imaginais. Je voulais qu’elles soient achetées en l’état sans modification. Quand j’ai créé mon premier sac, c’est ce qui s’est passé. Ce que j’avais créé plaisait ! Au-delà du sac, c’est à cette volonté que je me suis accroché.

Je suis passé d’Artisan à Artisan d’Art.

QUELLES COMPÉTENCES DE TA FORMATION INITIALE T’ONT PERMIS DE DEVENIR SELLIER MAROQUINIER ?

Quand je me suis formé seul à la maroquinerie, j’avais déjà un savoir-faire pointu en tant qu’artisan du bois. Il y a d’autant plus de points communs entre les métiers du bois et du cuir que je travaille un cuir épais, le collet. Par exemple, un couteau à parer est un outil très proche du ciseau à bois. Il y a un lien assez naturel sur la manipulation de la matière, la découpe, la manière de percer le cuir.

Pour mon premier sac je n’ai acheté que trois outils. C’est une des particularités de la maroquinerie : on peut très vite fabriquer des objets avec très peu de matériel. C’est tout l’inverse du bois !

COMMENT CONCEVOIR UN SAC ?

C’est ce qui était plus complexe ! Comment dessiner un sac confortable et facile à porter, associant du cuir et du bois avec des coutures à la main. Je m’y suis pris de façon très intuitive. C’est l’expérimentation qui permet de se former tout au long de sa vie d’artisan. J’ai beaucoup regardé les sacs des gens, leurs assemblages. J’ai écouté les conseils des vendeurs de cuir sur les réactions de la matière.

Pour assembler un meuble il y a beaucoup de règles structurelles. Pour un sac c’est la même chose. C’est un objet en volume, ce sont juste les matériaux qui changent.

SYNDROME DE L’IMPOSTEUR DANS LA MAROQUINERIE ?

Non, tout dépend de la qualité. Si ton produit est irréprochable c’est difficile de te dire que tu es un imposteur. Je reste légitime en tant qu’artisan et reste humble sur ce que je crée.

DE QUOI EST CONSTITUÉE TA COLLECTION ?

J’ai une collection permanente qui évolue. Quand un produit plait mais ne touche pas à assez de monde, il sort de la collection et j’en fait rentrer un autre. Ma gamme de prix va du sac à 280 euros à 800 euros. Je vends également de la petite maroquinerie à 40 euros.

Je choisis du cuir français tanné en Italie avec un tannage végétal. Le cuir est tanné sans chrome, à l’eau avec des pigments naturel (des écorces chêne, mimosa…). Mes coutures sont réalisées avec du fil de lin. Mes boucleries viennent de la maison Poursin à Paris, et je me fournis aussi un peu en Italie.

TRAVAILLES-TU SEUL ?

Ma compagne m’accompagne depuis le début dans les réflexions et s’occupe du site internet. J’ai une apprentie et une stagiaire. Je sous-traite la partie bois à Nantes.

QUELLES ONT ÉTÉ LES ÉTAPES DE DÉVELOPPEMENT DE TON ENTREPRISE ?

Il y a 8 ans, j’ai fermé ma boutique de meuble. J’ai pris une année pour réfléchir à l’étape d’après. A cette époque, une amie mosaïste m’a demandé de réaliser un sac tout en bois pour un défilé de mode à Genève. En parallèle de cette création, j’ai commencé à travailler sur une idée de sac en bois et feutrine puis je me suis dirigé vers le cuir. J’ai fait une dizaine de sacs et ai commencé à faire des ventes éphémères. J’ai rencontré un engouement autour de cet objet. Puis au bout d’un an, il a été question de faire le choix de « je continue ou j’arrête ». J’ai choisi de continuer à travailler le cuir en mettant de coté le travail du bois.

QU’EST CE QUI T’A PERMIS DE TE LANCER SEREINEMENT ?

J’avais la chance de toujours avoir mon atelier de menuiserie. J’étais un peu équipé. J’ai commencé à faire la couture de sacs chez moi dans mon salon. Ce qui a joué, c’est le sentiment de pouvoir créer un objet et de pouvoir le distribuer tel que. C’était pour moi hyper important ! Avec ces sacs en cuir et bois, j’arrivais sur un terrain de jeu où personne n’était allé. C’était risqué mais je sentais qu’il y avait une demande derrière. Ça me faisait du bien d’être dans un atelier moins poussiéreux, loin des chantiers.

QUEL FINANCEMENT ?

J’ai investi 1 500 euros pour vendre dans des boutiques éphémères. J’ai vendu mes sacs et j’ai réinvesti petit à petit mais je ne me versais pas un salaire. A ce moment-là, j’ai bénéficié de six mois de chômage et j’ai mangé mes six mois d’économies. Je n’ai pas eu besoin d’acheter beaucoup de matériel car j’avais mes outils. Cela a avancé petit à petit. La première année mon chiffre d’affaires oscillait entre 15 et 20 000 euros. Maintenant mon chiffre d’affaires est de 90 000 euros et je me verse un salaire de 1500 euros par mois.

QUE T’A APPORTÉ L’OUVERTURE DE TA BOUTIQUE ?

Grâce à elle j’ai augmenté le chiffre d’affaires de 20% chaque année. Quand on part sur de bons choix, les choses s’enchaînent. Grâce à ma couverture sur le magazine de Versailles, une mécène m’a proposé une boutique gratuitement pendant 3 ans ! Tout a changé depuis ce jour !  Du jour au lendemain j’ai eu pignon sur rue. J’ai pu investir, me faire connaitre tout en gardant mon atelier de menuiserie.

A QUELS SALONS PARTICIPES-TU ?

La clientèle professionnelle est arrivée par les salons. En septembre 2016, mon premier salon est Maison & Objet, je casse ma tirelire ! et je n’ai eu aucune commande…. L’emplacement était mauvais. (Pour rappel : prix du Stand de 300 à 5 000€, Aide possible Atelier Art de France : 300 à 800€). En 2017, année top !  J’ai appris de mes erreurs. Je suis maintenant au hall Craft.

COMMENT EST CONSTITUE TON CHIFFRE D’AFFAIRES ?

40% de mon chiffre d’affaires vient des professionnels (Chine, Japon et Suisse) et 60% vient des particuliers dont 10% sont des ventes en ligne.

COMMENT A ÉVOLUÉ TON ACTIVITÉ EN LIGNE ?

Je travaille beaucoup sur la vente en ligne mais cela nécessite des investissements importants et prend du temps. Ce serait bien que j’investisse autant dans internet que ce que j’ai investi dans les salons professionnels. Instagram et Facebook sont de vrais leviers de clientèle. J’ai 3 500 abonnés sur Instagram et autant sur Facebook. Instagram évolue beaucoup. Les algorithmes changent. La vidéo prend une place énorme (stories, live). Il y a une attirance du public pour cela, mais je ne suis pas sûr d’être totalement à l’aise avec cette mise en scène pour le moment !

Mon chiffre d’affaires en ligne est encore irrégulier avec un très gros pic à Noel. Ce sont surtout des clients fidèles qui achètent. Mes sacs ne sont pas les plus simples à vendre en ligne. Le bois peut faire peur.

QUEL A ÉTÉ LE PLUS GROS RISQUE QUE TU AS PRIS ?

Quitter l’atelier financé par la mécène pour prendre une boutique payante qui me coûte 12 000 euros à l’année. Je le paie un peu dans cette période de confinement ! Mais la vie est bien avec des risques ! C’est ce qui fait avancer !

QUELLES SONT TES PERSPECTIVES ?

Avec cette pandémie, c’est le flou ! Je me pose beaucoup de questions : mes clients seront-ils au rendez-vous ? Comment bien communiquer auprès de mes clients sur nos approvisionnements compliqués (gros problèmes de fournitures des cuirs italiens, ruptures de stock des fournisseurs) et ses conséquences sur le nombre de coloris disponibles (actuellement 16 couleurs proposées) ? Attention donc aux dépenses ! Il va falloir faire le dos rond, avoir moins de charges. Si demain on doit fermer la boutique, on la fermera. Et on en ré-ouvrira une autre dans un an.

En termes de perspectives produit, un nouveau sac doit sortir après le confinement, monté différemment et permettant d’aller vers d’autres matériaux. J’aime beaucoup le cuir et ce qu’il devient dans le temps. Mais j’aime l’idée d’un sac sans cuir ou moins de cuir. La laine m’attire beaucoup par son côté plus éthique. Je m’intéresse aussi au cuir vegan : matière qui ressemble au cuir sans en être.

AS-TU D’AUTRES ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES ?

Je n’ai pas le temps ! je travaille 70h par semaine. On verra avec le corona… Seule petite activité complémentaire, je fabrique des portes-clef pour des professionnels. Ça m’amuse donc je le fais !

TRAVAILLES-TU POUR LE LUXE ?

Non, je souhaite rester indépendant. J’ai juste collaboré à un concept car de Citroën et créé des pièces uniques pour une galerie. Je ne suis pas fan de ce que veut dire le luxe maintenant. Je préfère le haut de gamme. Tout dépend à quelle échelle on veut travailler.

AS-TU DES CONSEILS POUR LES PERSONNES QUI VEULENT ALLER VERS CE MÉTIER ?

Il faut se poser les bonnes questions :

  • Dans ce métier, y a-t-il de la place ? est-il facile de trouver du travail ? J’aime le cuir. Des métiers meurent. Quels sont les métiers qui manquent de repreneurs ? Aller vers un métier où il a un besoin : la ganterie, la gainerie par exemple.

  • Mon mode de vie est-il en lien avec les revenus associés à ce type de métier ? Je n’ai pas un revenu élevé mais je sais pourquoi je me lève. Je fais un métier qui me plait.

Si je dois donner un conseil en stratégie commerciale : essayer d’avoir le moins de charge possible et être débrouillard ! N’achetez qu’avec l’argent gagné au fur et à mesure. N’investissez pas des grosses sommes pour avoir les reins solides pendant une durée assez longue.

Le statut que je recommande pour démarrer : la micro-entreprise. On ne récupère pas la TVA mais on n’pas besoin d’un comptable à 2500€ par an.  Si on ne gagne rien, on ne paie rien.  Si on veut fermer c’est plus léger. Le plafond a augmenté pour le la fabrication/revente poussé à 90 000€ et 45 000€ pour la prestation de service. Passé ce seuil, il y a toujours moyen de basculer après vers un autre statut.

Concernant les réseaux sociaux : communiquer sur son projet avec son entourage puis élargir petit à petit. Les gens ont besoin d’authenticité et adorent l’histoire de l’artisan qui montre l’évolution d’un produit. Il faut en profiter, c’est gratuit. J’ai toujours essayé de garder un échange réel, honnête.

Merci Damien de cet échange LIVE !

Merci à Artisans d'Avenir pour cette interview ainsi que sa retranscription.